J'ai vomi dans mes cornflakes - Pierrick Servais
'Si les enfants veulent tous devenir astronautes, c'est pour se barrer de cette terre où ils devront vivre toute leur vie.
Ensuite ils grandissent, oublient la NASA à cause d'un 5 et demi en math.
Ils écoutent du black-métal et vomissent la bière vendue par packs de trente.
Ils se haïssent eux-mêmes sans trop savoir pourquoi.
Le lycée leur apprend les modalités de l'échec, de l'humiliation, de la clope, et du suicide.
Ceux qui auront leur BAC se ruineront en malibu-coca.
Puis, le soleil éclaire un peu plus leur chemin.
Ils voient un peu mieux l'avenir parce qu'il n'y en a pas.
Ils se psychanalysent eux-mêmes en découvrant que tout ça, ce n'est peut-être pas seulement de leur faute.
Alors on se met à faire de la politique. Un autre monde est possible. Le changer serait tellement cool.
Ils achètent des T-shirts avec des étoiles rouges, et trouvent le mot "révolution" très beau, ça ressemble à revolver, mais surtout à évolution.
Ils arrêtent de manger du MacDo, refusent d'être français, ne regardent plus la météo; de toute façon demain...
Il pleuvra...
Le doute se mêle à leur tentatives, vaines, forcément; pourquoi refaire le monde, puisqu'il va péter.
Et puis ils se rendent compte que boire une bière fraîche avec une belle brune, c'est pas si mal.
Le regard d'une fille vaut mieux qu'un combat perdu d'avance.
L'amour pas la guerre, ce genre de conneries.
On emmerde une dernière fois la société, puis on revend son poster du Che.
Cette fille devient notre femme, la bière fraîche devient notre bide.
On s'entasse dans un meublé qu'il faudra payer. Un boulot et puis une bagnole, avec l'ouverture centralisée et la clim en option.
On économise pour Noël, et un peu de soleil à la plage...
On devient gros, moche, aigri; les p'tits cons arrêtent des jouer dans notre pelouse, et on se souvient qu'avant on avait des projets.
On se souvient...
On était jeune, plein d'idées, tout ça pour rien...
Parce que maintenant, on attend comme tout le monde son abonnement au programme télé; alors, avant de mourir, on va voir son petit fils. Il veut devenir astronaute.
Deviens-le, c'est ta seule chance.'
Est-ce qu'on est voué à ça ? Est-ce que a aussi peu de sens ? C'est bien triste, ce portrait fait de la vie. Peut-être qu'il y a d'autres choses à dire. Ce soir, j'ai peu d'espoir. Sommes nous voués à naître, grandir, se révolter, aimer, et se laisser mourir ? Les sentiments qui nous accablent semblent tellement insignifiants, comparés à l'immensité de ce monde, et de tout ce qui le peuple. Et pourtant, ces sentiments si insignifiants menacent chaque jour de nous anéantir. Car il faut toujours se contrôler, éviter de dire ce que l'on pense, parfois.
Trop de choses ont été tues. Je ne peux pas me libérer, trop peur des conséquences. Alors j'affronte chaque soir mes angoisses et mes non-dits, en sachant que ça recommencera le lendemain. J'en peux plus. Ça me bouffe.